L’examen de la faisabilité d’un acte de sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2 au large de Bornholm confirme qu’une paternité occidentale est nettement plus plausible qu’une paternité russe.
Néanmoins, des histoires sur une opération russe sous faux drapeau continuent de circuler dans les médias occidentaux. Cependant, si les Russes étaient effectivement responsables de la destruction de Nord Stream 1 et 2, cela devrait susciter la plus grande inquiétude dans les capitales occidentales.
Il a été dit, entre autres, que les Russes avaient miné les gazoducs pendant leur phase de construction, pour pouvoir ensuite les détruire à tout moment. Outre le manque de logique d’une telle hypothèse, certains arguments techniques s’y opposent.
Le premier contre-argument est que les explosifs vieillissent chimiquement. Ce processus fait que les explosifs se décomposent au fil des ans de sorte que leur explosion n’est plus garantie. Mais le contraire peut également se produire : des explosifs stockés peuvent exploser quelques années plus tard au moindre changement environnemental. Pour la planification de la destruction de pipelines sous-marins dont la durée de vie est de 50 ans, cela peut constituer un problème.
Dans le cadre de ses projets de gestion des stocks, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a acquis une grande expérience du stockage des munitions, qui peuvent exploser au moindre incident et sont donc dangereuses à manipuler. Dans les forces armées qui ont l’expérience des sites de dynamitage permanents, comme les forces armées allemandes, autrichiennes et suisses, l’entretien de ces sites de dynamitage était assuré par des formations professionnelles, comme l’organisation Wallmeister ou le Fortress Guard Corps.
Une charge explosive fixée à un pipeline déjà en construction nécessiterait un entretien régulier, y compris le remplacement de l’explosif si nécessaire. Cela peut s’avérer complexe.
Le contrôle et l’entretien des pipelines souterrains sont assurés par des appareils autonomes qui font des allers-retours à l’intérieur des canalisations et en contrôlent l’état à l’aide de divers appareils de mesure. Cependant, le déploiement de ce qu’on appelle un « PIG » (pipeline inspection gauge) à plusieurs centaines de kilomètres de l’endroit où il a été inséré est un défi technique qu’il ne faut pas sous-estimer. Mais si un tel dispositif de maintenance avait placé une charge explosive dans les pipelines Nord Stream, de l’intérieur, l’examen des dégâts le révélerait immédiatement. Toutefois, il est peu probable qu’une enquête véritablement indépendante sur cet acte de sabotage soit menée un jour.
Un autre défi technique concerne la détonation d’une charge explosive à un endroit aussi difficile d’accès que les pipelines sous-marins, car les détonateurs subissent également des processus de vieillissement, de sorte qu’ils ne fonctionnent plus de manière fiable des années après leur production. Un câble d’allumage électrique de plusieurs centaines de kilomètres de long nécessiterait également une inspection et un entretien réguliers. Il faut être naïf pour penser qu’un pipeline puisse être détruit des décennies après sa construction, à partir d’un poste de commande situé à plusieurs centaines de kilomètres, en appuyant sur un bouton, pour ainsi dire.
Des saboteurs sur le terrain
Il serait nettement moins risqué de produire l’électricité nécessaire à la mise à feu d’un détonateur à une distance sûre du site choisi, à l’aide d’un engin de dynamitage, par exemple au moyen d’une manivelle. Pour cela, il faudrait placer un détonateur électrique dans l’explosif à un endroit préparé à l’avance et le relier à la machine de dynamitage par un câble. Cela nécessite également la présence physique des saboteurs sur le site.
La variante de la détonation à distance par un émetteur radio ou un téléphone portable doit bien sûr être envisagée. Cependant, dans les eaux froides du fond de la mer Baltique, les accumulateurs et les piles nécessaires se déchargent rapidement. Et les ondes électromagnétiques n’y pénètrent pas assez profondément. Les sous-mariniers connaissent les problèmes d’accessibilité des sous-marins immergés, et même les ondes longues utilisées pour les communications sous-marines ne pénètrent pas à des profondeurs de 70 m et au-delà. Pour cette variante, un relais aurait dû être installé près du lieu de sabotage avant l’opération, pour assurer la liaison entre le déclencheur et la cible de l’explosion.
Toutes ces considérations laissent penser que les actes de sabotage des deux gazoducs Nord Stream 1 et 2 ont été perpétrés sur place. Compte tenu de la distance qui sépare les scènes du crime, on peut concevoir que le même groupe de personnes soit responsable des deux actes de sabotage.
Or, la liaison la plus courte entre les deux lieux traverse une zone d’entraînement maritime de la marine danoise. La présence physique d’un navire, d’un sous-marin ou d’un drone sous-marin est beaucoup plus facile à assurer depuis le territoire de l’OTAN que depuis les bases de la marine russe dans l’oblast de Kaliningrad, à 300 km de là.
Si, toutefois, la marine russe était parvenue à surmonter tous ces obstacles techniques et tactiques pour s’approcher du lieu du crime sans être détectée, à y effectuer des préparatifs approfondis, à déclencher la détonation et repartir sans être détectée, il s’agirait d’un véritable exploit, qui devrait déclencher l’alarme dans toutes les capitales occidentales.
Déploiement de sous-marins et de drones sous-marins
Tous ces problèmes peuvent être évités en plaçant simplement une grosse charge explosive de quelques centaines de kilos sur le pipeline à partir d’un sous-marin ou d’un drone sous-marin. Le transport d’une telle charge, sans être détecté, à travers 300 km d’eaux contrôlées par l’OTAN, n’est cependant pas si facile. Si les Russes y étaient parvenus, pratiquement toutes les infrastructures sous-marines des pays de l’OTAN seraient mises en péril, y compris le gazoduc « Baltic Pipe » qui a été inauguré il y a quelques jours, ainsi que tous les câbles de communication sous-marins et la plupart des lignes électriques.
Cela changerait aussi radicalement l’image de forces armées russes prétendument incompétentes, amplement diffusée ces derniers mois par les sources occidentales, tout en jetant une lumière négative sur les forces navales des pays de l’OTAN et des pays candidats concernés.
Il est possible que la guerre des fonds marins soit désormais arrivée en Europe, et la question se pose de savoir si nous sommes à la veille d’une vague de sabotage sans précédent visant les infrastructures sous-marines à la périphérie de l’Europe, coupant notre continent de l’approvisionnement en gaz et des télécommunications. Si cela se produit, dans la guerre de l’Occident contre la Russie, les événements sur le front de l’Ukraine orientale deviendront soudainement sans importance.
Conclusion
Quiconque examine objectivement la faisabilité d’un acte de sabotage contre les gazoducs Nord Stream 1 et 2, au large de Bornholm, est forcé de reconnaître que la paternité occidentale est considérablement plus plausible que la paternité russe.
Si toutefois la responsabilité en revenait aux États-Unis, au Danemark, à la Pologne et peut-être à d’autres alliés de l’OTAN, l’Allemagne, en particulier, devrait en tirer les conséquences.
On peut maintenant se demander quel est le but des spéculations et des théories du complot qui circulent dans les médias occidentaux ces derniers jours autour du sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2. C’est peut-être simplement d’entourer de brouillard la version évidente et la plus plausible d’une paternité américaine. À l’avenir, on ferait bien de considérer les communications occidentales avec un certain degré de scepticisme.
Auteur: Ralph Bosshard
Source: https://solidariteetprogres.fr/actualites-001/sabotage-des-gazoducs-nord-stream.html#nb14